Prédication de Jean-Marc Donnat, pasteur à la retraite, à St Jean de Maruejols, le dimanche 12 Juin 2022.
Quand il faut dire non …
Marc 7:24-30
24 Jésus partit de là et se rendit dans la région de Tyr. Il entra dans une maison ; il ne voulait pas qu’on sache qu’il était là, mais il ne put cacher sa présence. 25 En effet, à peine était-il arrivé, qu’une femme, qui avait entendu parler de lui et dont la fillette était sous l’emprise d’un esprit mauvais, vint se jeter à ses pieds. 26 C’était une femme païenne, originaire de Syro-Phénicie. Elle le supplia de chasser le démon qui tourmentait sa fille.
27 Jésus lui dit : Laisse d’abord se rassasier les enfants de la maison. Car il ne serait pas convenable de prendre le pain des enfants pour le jeter aux petits chiens.
28 – Sans doute, Seigneur, reprit-elle, mais les petits chiens, qui sont sous la table, mangent les miettes que laissent tomber les enfants.
29 Et Jésus de répondre : A cause de cette parole, va, retourne chez toi, le démon vient de sortir de ta fille.
30 Elle rentra chez elle et trouva son enfant couchée sur le lit : le démon était parti.
Le 3 décembre 1989, Michel Rocard alors premier ministre prononça pour la première fois cette phrase restée célèbre entre toutes :
« La France ne peut pas héberger toute la misère du monde… »
Cette phrase très polémique, je veux la faire descendre de quelques étages et au lieu de l’appliquer à notre pays, je voudrais qu’elle devienne une question personnelle pour chacun de nous.
Fort de l’ordre qui nous est donné, « tu aimeras ton prochain comme toi-même » nous pouvons nous demander si nous pouvons supporter chacun toute la misère de tous nos prochain.
Nous pouvons le vouloir, nous pouvons essayer, mais nous n’y arrivons pas, il s’en faut et de beaucoup. Il y a tant de ces occasions ou nous devons fermer notre cœur pour cause d’impuissance avérée.
Vouloir le bien est à ma portée, mais non l’accomplir… Romains 7:18
Pouvons nous parfois renoncer, pouvons selon les circonstances accepter d’être les Michel Rocard de notre être intérieur ? Y a t-il une ligne de conduite dans ce domaine ?
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Jésus lui, pouvait porter toute la misère du monde d’ailleurs il a finit par le faire lors de cette terrible Pâques. Mais Jésus ne veut pas porter la misère de cette syro-phénicienne.
Il ne le veut pas.
Ce refus nous mets mal à l’aise. Sa forme est extrême, Jésus ne veut pas savoir. Quand l’évidence est devant lui, il dit non. Non à la délivrance, non à la guérison, non à un geste paraissant être le bien. Qu’en est-il de la miséricorde ? S’est elle éteinte en passant la frontière de ce que l’on appelle aujourd’hui le Liban ? « Laisse d’abord se rassasier les enfants de la maison. Car il ne serait pas convenable de prendre le pain des enfants pour le jeter aux petits chiens. »
Chacun son tour et le tour des étrangers, des non juifs n’est pas encore arrivé. Le mur, le mur de la séparation n’est pas encore tombé, il s’en faut de quelques mois. Tu attendras, il en restera et tu pourras en profiter. Le refus de Jésus est non seulement catégorique mais aussi d’une incroyable violence : Il y a d’un coté les « enfants » auxquels il se doit et de l’autre les « chiens » qui ne doivent rien attendre pour le moment. Si Will Smith avait été par là, il aurait sûrement réagi violemment !
Beaucoup d’exégètes en cherchant des explications Lui ont trouvé des excuses. Il savait ce qui allait arriver… Il a voulu mettre en évidence la foi extraordinaire et la vive intelligence de cette femme…
Jésus n’est pas un manipulateur, il ne dit pas non parce qu’il veut se faire prier, ni parce qu’il voudrait susciter artificiellement une réaction salutaire. Pas besoin d’excuses, Jésus dit non parce que c’est non.
Dans l’Évangile de Matthieu, les choses sont un peu plus précisées :
« je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues du peuple d’Israël. »
S’occuper la petite fille de cette femme n’est pas dans sa mission. Jésus dit non parce qu’il est tourné vers d’autres qu’elle.
Jésus dit non. Mais dire non n’est pas une fin en soi, cela établit juste une situation un tantinet cornélienne. D’un coté il y a cette précise et noble mission à laquelle Jésus entend rester fidèle, de l’autre il y a cette compassion fruit de l’empathie que le refus n’a pas éteint et qui reste pressante sur les évènements de la suite.
Pour en sortir Jésus va inventer le télétravail…
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Au XXème siècle on pensait construire un monde ou l’homme serait libéré de la malédiction du travail par la machine. En fait c’est une toute autre réalité qui est apparue, une réalité ou l’homme a été greffé par le bout de ses doigts au clavier de son ordinateur.
Pour preuve de cet état de fait, il faut évoquer une pratique découlant de la pandémie qui a failli briser notre espoir et notre avenir. Des ordinateurs, il y en a partout, au bureau et à la maison et en fait ce sont les mêmes. Alors le travail, qui existe encore et toujours, se fait de plus en plus à la maison. Le salon ou la chambre à coucher deviennent le lieu du labeur. On appelle cela « télétravail ». Ce n’est pas le monde que nous voulions, mais, c’est celui que nous avons. Cela n’a pas que des inconvénients, je connais quelqu’un qui a télétravaillé pendant plusieurs années pour une entreprise de Genève à partir de Bangkok en Thaïlande.
Parce que nous avons moins de mémoire que nos ordinateurs, nous pensons que c’est une invention récente permise par les développements de la technologie. Je voudrais rappeler ici ce matin que Jésus-Christ il y a 2000 ans a pratiqué ce genre d’activités. Il a réservé cela à des occasions particulières, peu fréquentes. Des circonstances défavorables l’ont conduit à pratiquer des télé-guérisons, quelque chose comme des miracles sans contact. Je crois que ces circonstances défavorables ne doivent pas devenir les nôtres et qu’il convient donc d’approfondir ce sujet maintenant.
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Toutes les guérisons, œuvres de Jésus, qui nous sont rapportées dans les évangiles nous le font voir en présence de celui qui doit être guéri. Parfois il lui parle, parfois il le touche, mais toujours il y a face à face. Sauf trois fois. Trois fois Jésus guérit à distance. Ainsi il guérit le serviteur du centenier, de même il guérit le fils de l’officier d’Hérode et c’est donc encore de cette façon qu’il guérit la fille de la syro-phénicienne.
C’est cela qui fait la différence entre le pain servi sur la table et les miettes qui s’échappent.
Luc 7:2-10 Jésus suit les envoyés de l’officier romain mais il ne pourra pas entrer dans la maison ou se trouve le malade, ce serait un manquement à la loi qui pour l’heure interdit à un juif d’entrer chez un païen. Le romain a parfaitement conscience de cela et il prend sur lui la réponse : ce sera donc par la foi et à distance que la guérison se fera.
Jean 4:46-53 Le haut fonctionnaire d’Hérode vient voir Jésus comme certains, de nos jours, vont voir le magnétiseur ou celui qui coupe le feu. Peu importe d’où vient la puissance étrange qui est mise en œuvre, ce qui compte c’est le résultat, la guérison. Pour le reste on ne veut pas savoir. Si ça marche c’est que c’est bon. Jésus n’accepte pas cette attitude ambiguë, il n’y a qu’aux chevaux que les œillères vont bien. D’une façon qui nous surprend, Jésus parle sévèrement à cet homme, il guérira, le signe recherché sera donné… de loin. Mais, gloire à Dieu, la foi finalement sera au rendez-vous.
Pour la syro-phénicienne, Jésus ne veut pas transiger avec sa mission car sa mission c’est le plan de Dieu pour sauver l’humanité tout entière, rien de moins. Il semble que l’on ne fasse pas d’omelette sans casser les œufs. En vertu de la compassion, il y aura délivrance mais elle ne sera pas signée. Cette guérison ne sera que les miettes de ce qu’aurait pu faire Jésus.
Certains, au contraire, ont voulu voir dans cette façon d’agir du Seigneur une forme de générosité. Si il ne se déplace pas c’est pour assumer l’urgence, pour faire au plus vite et ne pas prendre le risque de la mort du malade, pour couper au plus court de la souffrance… Ce n’est pas juste.
Il me faut évoquer ici une autre guérison de Jésus, la guérison de la fille de Jaïrus
(Matthieu 9:23-26 ). Quand Jésus arrive,La fille de Jaïrus n’est pas morte, elle dort. Depuis quand dort-elle ? Depuis que Jésus l’a guérie. Mais puisque Jésus n’était pas encore arrivé, c’est que Jésus l’a guérie elle aussi à distance. Mais Jésus vient, il lui prend la main et la fait lever : Jésus par ce face à face signe la guérison : Jésus fecit.
Dans les autres guérisons à distance, ce face à face final manque. Ceux qui assistent à ces évènements, sont comme si ils contemplaient un tableau de Picasso, qui aurait la forme et la qualité d’un Picasso mais qui ne serait pas signé. C’est la différence entre le pain et les miettes.
Les choses ont bien fini, des miettes ont suffi, mais Jésus a dit non. La femme syro-phénicienne n’a pas tenté de contester ce refus, elle n’a pas cherché à en appeler à plus d’« humanité », juste elle est passée sur le bord de la route ainsi tracée. Il faudrait ici développer tout ce qui manque aux miettes par rapport au vrai repas et qui fait du geste de Jésus un véritable « non » assumé. Je n’en ai pas le temps. Juste, souvenez vous de l’histoire du paralytique que nous avons lu. Ce qui est premier, ce qui est fondamental c’est le pardon, pas le signe de la puissance.
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Se pourrait-il que nous aussi devant un bien à accomplir nous ayons parfois à dire non ? Se pourrait-il que certains gestes d’amour doivent être refusés ?
Il faut décider de la bonne façon d’aimer. La nécessité de cette décision peut découler d’une contrainte que nous voulons croire évidente : je ne peux pas tout porter. Notre décision d’agir ou de ne pas agir peut aussi découler d’une conviction et c’est beaucoup plus satisfaisant : je ne dois pas porter cela. C’est une conviction de ce type que Jésus oppose à la demande de la syro-phénicienne.
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A l’occasion d’un « trou » dans le flot chaotique des véhicules cette voiture avait pu s’engager sur le rond point. Je m’étais imposé à sa suite, le plus dur était donc fait.
Sauf que…
Mu par je ne sais quelle générosité, le conducteur de ce véhicule s’est immobilisé en plein milieu du rond point pour laisser passer les véhicules arrivant d’une voie sur la droite. Derrière, très rapidement, le rond point se remplit et tout se bloque. Le rond-point déjà saturé est maintenant embouteillé.
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Cela partait d’un bon sentiment, d’une forme de générosité :
« J’ai eu du mal à rentrer, je vais faciliter la vie aux autres…. ». Les autres… ceux que je vois, ceux qui sont là devant mon capot. Mais des autres, il y en a d’autres (!). Ceux que l’on ne voit pas.
Moi je suis derrière lui, bloqué. Je bous. Moi aussi je suis son prochain, je veux le rappeler alors je gesticule un peu. « avance ! ».
Faut-il toujours tenir compte du prochain évident et ne pas se préoccuper du prochain caché ? Je ne le crois pas. Avec une forme de condescendance, depuis cet incident j’appelle cette attitude « la gentillesse de rond-point ».
Exemples de gentillesse de rond-point :
– Prendre dans son berceau le bébé qui pleure et le bercer jusqu’à ce qu’il se calme. (ses parents voulaient le laisser pleurer pour qu’il prenne l’habitude d’une certaine patience…)
– Donner sans compter des bonbons aux jeunes enfants de notre entourage. (Après tout ce n’est pas moi qui devrait les accompagner chez le dentiste…)
– Prêter de manière informelle de l’argent à qui en a un absolu et urgent besoin. S’étonner ensuite de ne pas être remboursé et de ne plus pouvoir aider ceux qui eux aussi en ont un urgent et absolu besoin.
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De quel prochain visible ou invisible est-ce que je dois faire cas ? Et de qu’elle manière (jusqu’où…) ?
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Un élément de réponse se trouve bien évidemment dans l’attitude et les paroles de Jésus. Il dit non à la syro-phénicienne en vertu des termes précis de sa mission. Comme un beau tableau, l’amour a besoin d’un cadre.
L’amour en lui même n’est pas une loi, l’amour se soumet à la loi. Aimer est un commandement, mais les autres commandements lui sont opposables.
Quand vous traversez un rond-point en voiture, c’est le code de la route qui pose un cadre à votre gentillesse : celui qui est sur la rond-point a priorité sur celui qui veut s’y engager. Toute entorse sera source de chaos, toute bienveillance déplacée manquera son but.
Il y a toujours un cadre dans lequel notre amour doit s’inscrire pour être autre chose que de la guimauve. Ce cadre tient à ce bloc qui se constitue autour de nous et que l’on appelle par un abus du singulier « le prochain ». Des prochains il y en a beaucoup et tous ont des droits en rapport avec notre amour. Nous ne pouvons nous occuper de tous simultanément, mais a eux tous ils forment pour nous un cadre contraignant.
Un exemple pratique qui s’adresse aux grands parents mais qui concerne en fait tout le monde. Papys et mamys parce qu’ils sont gaga devant leurs petits ont une fâcheuse tendance à se soumettre à tout leurs caprices, ils deviennent un contre pouvoir complaisant face aux désirs de leurs petits enfants. Et pourtant il y a la aussi un cadre qui devrait borner l’expression de leur amour. Les enfant, tous les enfants ont un absolu besoin d’éducation, c’est cette nécessité qui encadre l’amour. L’éducation est une science qui propose des principes divers et variés, il appartient aux parents de définir les contours précis de ce qu’ils veulent pour leur progéniture.
Si vous n’êtes ni l’un ni l’autre des deux parents, vous n’avez pas voix au chapitre. Vous n’avez d’autre choix que de vous soumettre à ce cadre posé par d’autres qui sont, eux aussi, votre prochain. Il se peut que comme Jésus vous soyez amené à dire non. Dire non alors que vous pensez oui. Je sais, c’est dur. Mais cela aussi c’est de l’amour.
Comme Jésus, il vous faut dire non sans hésiter et sans chercher des excuses, surtout ne dites pas « Ta mère ne veux pas… ». Comme la mère vous ne voulez pas : C’est ainsi que se matérialise le cadre à votre amour.
Cet exemple pas aussi simpliste qu’il y paraît ( est-il facile de se soumettre à la volonté peut-être incomprise de nos enfants devenus majeurs ?) est transposable sans grandes variations à beaucoup de situations que nous vivons.
Il y a toujours un cadre à notre amour, et nous devons toujours le respecter sinon il n’y a plus d’amour, il ne reste qu’une vague douceur sans aucune des fondations qui seraient porteuses d’avenir.
L’amour n’a de force que si il est placé dans le cadre de la justice. C’est la justice qui nous fera dire « non », comme Jésus a su dire « non ».
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Si elle s’achevait ici, cette prédication serait un peu abrupte, il lui faut une conclusion, comme il fallait les miettes à la syro-phénicienne. Jésus dit non à la syro-phénicienne mais il fait le peu qu’il peut faire. Contrairement aux autres malades guéris des évangiles le salut ne s’est pas approché de la fille délivrée du démon. Il n’y a eu « que » le signe visible. Parce que je suis un incorrigible sentimental, je veux croire que ce salut est venu quand même plus tard quand cela a été enfin possible…
Parce que cela est juste, il nous faut parfois dire non. Mais sachons habiller ce non des choses de l’amour. Si nous refusons un bonbon, rien ne saurait empêcher un bisou.
Un dernier mot en forme de paradoxe :
Proverbes 3:27
Ne refuse pas un bienfait à celui qui y a droit,
Quand tu as le pouvoir de l’accorder.
Amen !
Prière.